Kinshasa
pleure la Sabena

Kambale Juakali
Les
Congolais n'en ont cru ni leurs yeux ni leurs oreilles
lorsqu'ils ont appris la faillite de la compagnie
aérienne belge, la Sabena, qui passait en RDC pour l'une
des compagnies aériennes les mieux tenues au monde.
16/11/01 : Mais ils ont dû vite se rendre à
l'évidence, non sans amertume, car tout le symbole de la
compagnie à Kinshasa s'est écroulé comme un château
de cartes. Les bureaux ont été fermés, les enseignes
ont été descendues devant une foule médusée de
Kinois, incrédules. Les logos ont disparu du charroi
automobile et, plus grave, l'hôtel Memling, propriété
de la compagnie et longtemps fleuron de l'industrie
hôtelière en Afrique centrale a été mis en vente. Une
véritable catastrophe sociale à Kinshasa où les
emplois sont devenus très rares
Quand il y en a. Le
groupe Sabena employait près de 400 personnes
dont le sort devient plus qu'incertain. Monga Madu était
chef cuisinier au service catering de la Sabena :
"Je travaille à la Sabena depuis 35 ans et c'était
mon premier et unique emploi. Ce n'est pas à 55 ans que
je vais en chercher un autre... La Sabena était pour
nous devenue une famille".
La famille endeuillée
Willy Charniaux, le représentant
de la compagnie pour la RDC et la République
centrafricaine, avec résidence à Kinshasa, se veut
rassurant envers les travailleurs qui, dit-il, seront
indemnisés régulièrement. La Sabena faisait
partie du paysage national en RDC depuis l'époque
coloniale, autant que l'étaient l'Union Minière du Haut
Katanga (UMHK) dont est sorti le minerai
d'uranium qui a permis aux Américains de mettre fin à
la deuxième guerre mondiale, ou encore la Minière de
Bakwanga (MIBA) qui exploite le diamant dans la province
du Kasai. Les avions de la Sabena ont été les
premiers à sillonner le ciel congolais sous la
colonisation. C'est elle qui, en 1961, pendant
les premiers balbutiements de l'indépendance du Congo, a
fourni les premiers avions avec lesquels s'est lancée la
jeune flotte congolaise.
Justin-Marie Bomboko, ministre
des Affaires Etrangères du tout premier gouvernement
congolais, se rappelle avoir signé les documents de
passation du patrimoine aérien, lors de la création de
la jeune compagnie aérienne congolaise, "Air
Congo". C'est la mort dans l'âme qu'il
évoque le souvenir de la Sabena : "C'est un grand
choc pour moi qui ai plus utilisé les avions de la
Sabena que ceux d'aucune autre compagnie au monde. Tout
jeune étudiant en Belgique, je me rappelle avoir voyagé
à bord d'un DC 3 de la Sabena pour me rendre à
Bruxelles. Le voyage durait près d'une semaine.
Sabena, reviens !
"La Sabena a formé
nos pilotes et nos techniciens. Mais comme tout
homme ou toute uvre humaine, une entreprise a un
début et une fin. La Sabena me manquera toujours".
La compagnie aérienne belge a beaucoup souffert des
soubresauts, des relations tumultueuses et des conflits
cycliques entre la Belgique et le Congo. Chaque fois
qu'il y a eu conflit diplomatique entre Bruxelles et
Kinshasa, la Sabena était la première à en subir le
contre-coup. Les fréquences étaient drastiquement
réduites quand elles n'étaient pas tout simplement
supprimées. Mais chaque fois, Belges et Congolais
savaient que la brouille ne durerait pas longtemps. Et
tout revenait à la normale. A Kinshasa, on
imagine mal l'aéroport international de Ndjili sans la
présence de la Sabena.
Selon Willy Charniaux, l'axe
Bruxelles-Kinshasa était la ligne la plus rentable pour
la Sabena. Avec trois rotations par semaine, la
compagnie belge faisait le plein des sièges et
transportait beaucoup de fret pour les entreprises
congolaises, surtout que la compagnie nationale "Air
Zaïre", devenue "Lignes Aériennes
Congolaises" n'existe pratiquement plus que de nom.
Bien plus, l'hôtel Memling pouvait s'assurer d'une
clientèle sûre et régulière avec les équipages
Sabena. Ilunga Kalombo, depuis 10 ans, chef du desk
réception, s'inquiète beaucoup plus pour l'avenir de
l'hôtel.
"L'hôtel Memling vient de
subir une profonde métamorphose physique et s'attendait,
avec l'espoir de la fin de la guerre, à soutenir la
compétition avec les autres hôtels de sa catégorie
dans le monde. Je crains beaucoup pour le
maintien de son standing sans la Sabena."
Enfin, la faillite de la Sabena
crée un manque à gagner important pour la régie des
voies aériennes congolaises, qui tirait de
substantielles rentrées de ses droits d'atterrissage.
Là aussi, une conséquence douloureuse de ce drame
industriel
Et un nouveau secteur d'activités
frappé ! En un mot, l'absence de la Sabena en
République Démocratique du Congo est ressentie comme la
perte d'un proche parent.
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